C’était comme un léger spasme qui parcourait son corps : sa jambe droite s’était déplacée en avant, imperceptiblement, puis son épaule gauche s’était soulevée d’un demi-centimètre avant de revenir à sa place. Cela n’avait aucune espèce d’utilité ; et comment ça lui était venu, elle ne saurait le dire – le froid, oui, ça devait être cela.

Ça aurait été cela – de petits tressaillements de froid – si son bras gauche ne s’était brusquement levé au-dessus de sa tête en un geste ample et désordonné, aussitôt suivi par le même du côté droit, puis encore du côté gauche : on aurait alors dit qu’elle, mais était-ce le bon mot, dansait.

Elle sentait dans chaque parcelle de son corps une respiration qui complétait la sienne : sa tête respirait, son cou respirait, ses seins respiraient. Elle était en souffle : pour la première fois, son corps était à l’unisson d’elle-même.





D’abord, il ne fit que la prendre par la main ; mais lorsqu’elle trébucha, il passa aussitôt son bras autour de sa taille, accompagna sa chute et la retint au dernier moment. Une fois passé l’étonnement, ils recommencèrent, chaque fois plus bas : à la cinquième fois, son visage frôlait presque le sol. Elle n’avait pas peur du tout.

À son tour, il se laissa tomber en arrière sans crier gare. Elle se glissa derrière lui et le retint, s’accroupissant au fur et à mesure qu’il s’approchait du sol. On peinait à les distinguer : comme elle le soutenait, son corps était entièrement caché par le sien. Seuls ses bras, qui le portaient sous les aisselles, dépassaient et semblaient désormais lui appartenir. Comme elle se collait contre lui pour le redresser de toute sa force, leurs bustes se confondaient – et tandis que sa tête à lui penchait à gauche, la sienne dépassait du côté droit pour vérifier qu’aucun obstacle ne se dressait sur leur chemin. Elle finit, il fallait bien, par le remettre sur pied.

Tour à tour, ils prenaient plaisir à tomber, goûtant le poids et la peau de l’autre et s’étonnant de l’harmonie que leurs corps avaient naturellement trouvée : ils chancelaient et tanguaient dans une gravité commune. Ils se laissaient porter par les courants qui les traversaient et leurs mouvements devenaient de plus en plus élaborés, formant des chaînes, des enchaînements : ils, ce devait être cela, dansaient.





Lorsque le troisième est arrivé, leurs mains se sont décrochées pour l’accueillir. Ils ont formé un cercle et ils ont tourné en rond. Lorsque le quatrième est arrivé, ils ont agrandi la ronde et ils ont continué à tourner.

Lorsque le septième est arrivé, ils ont oublié de reformer le cercle : chacun est resté de son côté et suivait le flux de son propre corps, regardant les autres de loin. À distance les uns des autres, ils retrouvaient pourtant une forme d’harmonie, une synchronisation chaotique : c’était comme un léger spasme qui tour à tour les parcourait avant de revenir au point de départ.

Ils fermaient les yeux, ils étaient dix désormais, onze aussitôt, ils avaient les yeux fermés et ils étaient douze et ils se laissaient porter par la chaleur des corps qui les entouraient, les frôlaient parfois ; ils étaient vingt, leur sueur était la même et voilà qu’ils étaient cent et leur souffle n’était toujours qu’un, ce souffle mêlé d’énergies qui chutaient et se relevaient, se compensaient, s’équilibraient : jusqu’au petit matin ils ont, puisque c’était bien cela, dansé.

Elle, lui, elles et eux danseront encore.
Ensemble.