et un paysage m’est apparu, remplaçant l’arbre derrière la fenêtre par une côte mal goudronnée avec, à son sommet, un étal de fruits devant une caravane ; une femme en sortit – et je sus que j’avais dix ans, onze peut-être, j’étais dans ce village d’hiver où les marchands utilisent des balances de plomb : vérifie bien que les plateaux sont au même niveau quand tu achètes les citrons, mais tout ce que je vis c’est qu’ils étaient roses : si roses que tout s’était figé autour : la balance ne tanguait plus et rien d’autre n’existait que le rose des citrons – comme des, si l’on veut, pamplemousses – ni jaune-soleil ni orange-espagnol mais proprement roses : une lumière qui s’ouvrait, entière, sucrée : ces citrons que je n’avais jamais vus, dont j’ignorais que rose leur était une couleur, qui n’étaient pas des citrons mais des mots sur une page derrière une fenêtre en haut d’une côte étaient devenus tout : la route gris-asphalte en avait pris les reflets, l’air en avait le goût, le petit ruisseau s’était rempli de citrons roses et se réduisait en aval à un filet d’or – puis un arbre a poussé devant la caravane, l’a recouverte de son feuillage et me revoilà derrière la fenêtre avec pour dessert des citrons roses.
Contre5ens est un objet à mi-chemin entre la revue et le livre édité par des étudiant∙es du master de création éditoriale de la Sorbonne. Il se centre sur l’exploration des cinq sens et regroupe les textes de vingt-six auteur∙rices, le tout en un objet soigneusement composé jusque dans ses moindres détails : une maquette tirée à quatre épingles avec cinq papiers différents, une couverture en braille...
Chaque écrivain∙e a été invité∙e à accompagner sa publication d’un court entretien ; le mien est disponible ici. J’y explique la genèse de mon texte et je reviens en quelques mots sur mon parcours littéraire.